Aéroports de Paris: un sujet qui n'intéresse pas les français ?
- Iounès Disdier
- 24 juil. 2020
- 4 min de lecture
Article publié le 10 août 2019

Le Parisien, 7 août 2019
13,23%
Voilà ce que représentent aujourd'hui les signataires de la proposition de loi visant à "affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris". La faute à une couverture médiatique inexistante ?
État des lieux
Ce référendum d'initiative partagée, le premier de l'histoire du pays, a été ouvert le jeudi 13 juin 2019 et nécessite plus de 4 717 396 soutiens afin qu'il soit validé. Ainsi en presque deux mois, les estimations atteignent une fourchette allant de 611 000 à 619 000 soutiens validés d'après le média CheckNews, qui estime chaque jours la progression des soutiens, mais aussi par les sites indépendants que sont "RIP, le compteur" et "ADP Rip". Malgré un tel flou, dû essentiellement à l'absence de communication officielle de la part du gouvernement, on peut conclure que la part des soutiens validés représentent tout au plus 13,23% des soutiens nécessaires selon l'estimation la plus haute.
Force est donc de constater que ce référendum, s'étalant sur neufs mois, peine à mobiliser deux mois après son lancement malgré une rapide progression à ses débuts.
Un sabordage médiatique ?
Afin d'expliquer cette lente progression, le journaliste du Média Lucas Gautheron avance l'hypothèse d'un "défaut d'information". Les recherches du journaliste lui permettent de mettre en lumière une corrélation importante entre le pourcentage de la population par commune suivant des études supérieures et le pourcentage de signataires : ainsi selon lui pour être au courant, il faut être très impliqué politiquement, très informé, et ce sont des biais qui favorisent les personnes les plus diplômées.
L'évolution des soutiens au référendum serait donc en partie la conséquence d'un manque d'information relatif au sujet notamment auprès de populations qui ne s'intéressent pas d'eux même à la question. Pour le prouver, la rédaction du Média a quantifié le temps accordé à la pétition par la presse écrite et par le Journal de 20h de France 2 en le comparant au temps accordé au Grand Débat National lancé le 15 janvier 2019. La comparaison s'avère alors éloquente : dans les 30 jours qui ont suivi le lancement du Grand Débat, plus de 13 000 articles de presse furent écrits, contre seulement 500 articles pour ce qui est de la privatisation d'ADP et sa pétition. Quant à la couverture des évènements par France 2 sur les 30 premiers jours, 24 éditions du Journal de 20h font référence au Grand Débat National, contre une seule occurrence pour la pétition un mois après son lancement.
Il est évident que la nature même de ces deux évènements médiatiques influe sur le traitement qui leur a été rendu. En effet, si le Grand Débat National fut ponctué, comme son nom l'indique, de diverses séances de débat entre le président Emmanuel Macron et les français (de simples citoyens à élus locaux), la pétition est un phénomène informatique qui ne donne pas lieu à l'organisation d'autant d'évènements malgré l'importante mobilisation des partis d'opposition dans diverses communes de France. Le Grand Débat est source d'images et de sons, de grands discours et de petites phrases facilement exploitables par les médias, surtout ceux d'information en continue, contrairement à la pétition qui semble alors apparaitre tel un micro-évènement.
Mais ce point n'explique pas tout. En effet le site de critique médiatique Arrêt sur Image s'est lui aussi prêté à l'exercice en examinant le temps d'antenne accordé au Grand Débat National par les 20 heures de TF1 et de France 2 lors des sept premiers jours de son lancement. Ainsi France 2 y a consacré un à quatre sujets par soir (à l'exception du 19 janvier) contre un à deux sujets par soir pour le JT de TF1 avec notamment 6 sujets à l'ouverture de l'événement. Ce que note de plus ASI, c'est l'étonnante orientation des sujets sur les "performances" d'Emmanuel Macron comparé à un marathonien ... beaucoup de forme et peu de fond en sorte. A contrario, TF1 n'a pas accordé à la pétition le moindre sujet lors de son JT de 20 heures.
Un référendum sous le feu des projecteurs ... mais pas pour les bonnes raisons
Ce serait malgré tout mentir que d'affirmer que le sujet de la pétition n'a pas été abordé. D'après les recherches d'Arrêt sur Image, le sujet n'a été évoqué qu'une seule fois lors de la première semaine par le JT de 20h de France 2 ... pour mentionner les bugs de la plateforme en ligne mise en place par le gouvernement.
En effet, entre des problèmes de serveurs entrainant des difficultés d'accès, un manque de lisibilité due à une ergonomie d'un site digne du Minitel et l'emploi d'un langage administratif obscur ... la plateforme de la pétition fut belle et bien à la une du 13 juin 2019, pour un temps seulement puisqu'une fois certains problèmes réglés (que ce soit par des rectifications du gouvernement ou par la mise en place de guides d'utilisation par les internautes) le sujet tomba progressivement dans l'oubli. Encore une fois, beaucoup de forme pour peu de fond.
Alors que le référendum vise à questionner l'éventuel caractère de service public national d'ADP, il est étrange de voir aussi peu d'écho de la part des médias, d'autant plus lorsque ceux-ci font aussi partie du service public dans le cas de France 2. Les Aéroports de Paris sont considérés comme une véritable poule aux œufs d'or sur le plan économique de par sa rentabilité, mais aussi sur le plan stratégique : la part détenue par l'Etat préserve ADP des intérêts des multinationales qui, comme ce fut le cas lors de la concession des autoroutes, entrainent une hausse des redevances et l'accroissement de la concurrence dans un secteur essentiel à la souveraineté du pays. De plus, le référendum d'initiative partagée est, outre l'aspect historique de la chose, une première tentative d'application du concept de démocratie directe, largement au cœur des revendications du mouvement des Gilets Jaunes et repris depuis par de nombreux politiques et idéologues (faites un tour chez votre libraire, vous verrez) ... autant de choses qui intéressent les français, et devraient intéresser les grands médias qui les renseignent.
Si la démocratie directe est dans toutes les bouches, force est de constater que ce n'est pas forcément le cas de celles des médias.
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