Billet d'opinion : coronavirus, l'arbre qui cache la forêt
- Iounès Disdier
- 24 juil. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 juil. 2021
Publié le 22 mars 2020

Le Point, 14 novembre 2019
Bouleversant progressivement le monde, cette crise n'est le fait d'aucun dirigeant, malgré les discours complotistes que l'on peut entendre ici ou là (ou plutôt lire, confinement oblige). On pourrait blâmer pangolins et chauves-souris, et ceux qui auraient apparemment le mauvais goût de s'adonner à leur cuisine, mais ce serait trop simple et laisserait pointer le bout du nez d'un européanocentrisme bien caché mais bel et bien présent. Alors c'est bon ? On se met d'accord sur le fait que personne n'est responsable et que l'unité nous préservera du chaos ? A l'échelle nationale, je me permets d'en douter. Car cette crise, bien que sanitaire, est aussi sociale. Tout le monde s'accorde à dire que les problèmes ne sont pas nouveaux, comme si après tout ce n'était pas de notre faute, et à force de l'entendre j'ai fini par y croire malgré moi. Mais en cherchant bien, on comprend rapidement que la situation actuelle est due à un enchainement de mauvaises décisions. Prises une par une, on se dit que ce n'est pas malin, mais prises collectivement on se dit tout simplement que l'on se fout de nous. Derrière les odes répétées aux héros en blouse blanche et à leur sacrifice avéré se cache un double discours que les travailleurs de la santé ont perçu depuis longtemps. Si les belles paroles de ces derniers jours mettent en lumière le travail acharné des soignants, elles cachent une logique économique qui a commencé bien avant l'élection d'Emmanuel Macron, mais que ce dernier a amplifié de son néolibéralisme. Cette vision managériale transforme tout ce qu'elle touche en rigueur budgétaire, faisant progressivement du service public une vulgaire nuée d'entreprises forcées de retrouver l'équilibre budgétaire dans un premier temps, le profit dans un second. Emmanuel Macron avait le choix, continuer ce que les autres avaient entrepris de déconstruire avant lui ou rompre avec cette tradition morbide, nul ne doute aujourd'hui de sa décision. On l'a vu récemment avec Aéroport de Paris, le social importe peu, seuls les chiffres comptent. Cela fait plus d'un an que les services d'urgence sont en grève, rejoints progressivement par les infirmiers, les aides soignants, les médecins ... Tous décrivent des conditions de travail qui ne leur permettent plus de vivre décemment et d'exercer correctement le travail qui est le leur, c'est à dire sauver des vies. La diminution constante des budgets qui leur étaient alloués ont entrainé une logique dégradation de leurs conditions de travail et du nombre de lits disponibles, alors que ceux-ci sont désormais cruciaux pour endiguer cette pandémie qui ne fait que commencer. Il aura fallu quelques semaines à peine pour que les hôpitaux se retrouvent encore plus surchargés qu'ils ne l'étaient déjà, à quelques doigts de l'implosion, alors que le pic de contamination est encore à attendre. En avril 2018, Emmanuel Macron répondit cette phrase incroyable à une soignante du CHU de Rouen déplorant le manque de moyens : "Y'a pas d'argent magique" (vidéo). Or un budget, qu'il soit celui d'un État ou d'un ménage répond à la même logique : il faut faire des choix, et Macron a opté pour les coupes budgétaires. Le déficit budgétaire est une notion certes importante, mais ne devrait-elle pas être secondaire lorsque celle-ci permet de créer des emplois et sauver des vies ? Quoi qu'il en soit, le coronavirus fera et a déjà commencé à faire des dégâts considérables. Mais lorsque l'heure sera à l'analyse , la gestion managériale des hôpitaux et la logique de course au profit seront peut-être à questionner, et les politiciens qui les mettent en œuvre par la même occasion. Car bien souvent ceux qui, la larme à l’œil, applaudissent à leurs fenêtres les soignants sont les mêmes qui élisent les dirigeants à l'origine des réductions budgétaires. Lorsque Notre-Dame brûlait notre pays s'émut à l'unisson, il aura fallu une crise sanitaire mondiale pour que nous nous émouvions de l'état de notre système de santé. Bon confinement.
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